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Channel: Jeux Olympiques 2012 : les JO de Londres » syrie
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De Damas à Londres à contre-courant

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Du haut de ses 17 ans et de ses 1 mètre 82, la nageuse syrienne Bayan Jumah prépare les prochains Jeux olympiques à Rouen, loin des turbulences de son pays. Mais le chemin qui doit la mener à Londres ressemble à un parcours d’obstacles.

Soudain elle plonge et le monde entier disparaît. Du fond de la piscine de Rouen, où elle prépare les Jeux olympiques de Londres depuis un an, la nageuse Bayan Jumah n’entend pas l’écho des bombardements en Syrie, son pays natal. « J’évite de suivre ce qui se passe à la télé, pour ne pas me déconcentrer. Je suis là pour nager », dit-elle, à cinq mois de son rendez-vous avec les meilleures nageuses de la planète. « Les nouvelles ne sont pas très bonnes », concède-t-elle tout juste. Il y a quelques semaines, l’explosion d’une voiture piégée a fait près de trente morts à Alep, sa ville d’origine, où vivent encore sa mère et ses deux grands frères.

Faut-il voir un excès de prudence dans ses propos ? Toujours est-il que les traits encore poupons de Bayan, qui fêtera ses 18 ans en avril, ne trahissent aucune inquiétude. Après tout, la Syrie est à plus de 3000 kilomètres de Petit-Couronne, dans la banlieue de Rouen, où elle partage un appartement avec une autre nageuse et une judokate.

Bayan fait peut-être mine de ne pas y penser, mais les turbulences qui secouent son pays depuis un an la rattrapent. Les batailles diplomatiques entre Damas et les capitales arabes ont récemment chamboulé son calendrier olympique. En décembre dernier, elle devait s’aligner aux Jeux panarabes, à Doha au Qatar, un avant-goût des JO. Mais la jeune nageuse a dû y renoncer, comme les 250 autres athlètes syriens engagés. Raison d’Etat. Les instances dirigeantes du sport syrien ont fait le choix de boycotter la compétition pour protester contre la décision de la Ligue arabe d’exclure le régime de Bachar El-Assad.

"Trop froid pour nager"

Les convulsions du Proche-Orient ont également tronqué ses entraînements quotidiens. En décembre et janvier, Bayan s’est accordé un peu de répit à Damas, avant la dernière ligne droite vers Londres. Pendant deux mois, elle n’a quasiment pas nagé. « L’eau des piscines n’était plus chauffée, dit-elle. Il faisait trop froid pour nager ». Mais, s’empresse-t-elle de préciser, « la vie de tous les jours est quasiment normale » dans la capitale syrienne.

Ces péripéties pourraient l’empêcher d’atteindre les minima, les temps requis pour se qualifier aux Jeux, avant la date butoir en juin. Sur 100 mètres nage libre, son meilleur temps est de 58 secondes, à plus d’une seconde du niveau exigé. Mais son statut de championne en Syrie devrait lui ouvrir le droit à une invitation, au nom de l’universalité des Jeux olympiques. Recordwoman de Syrie sur 50 mètres, 100 mètres et 200 mètres nage libre, Bayan survole la discipline dans son pays, comme Laure Manaudou a pu régner pendant quelques années sur la natation française.

Sa suprématie nationale, dans un pays où le football roi éclipse les autres sports, ne pèse toutefois pas lourd face aux stars mondiales. Aux championnats du monde de Shangai, en juillet dernier, elle a fini très loin du podium, à la 41ème place sur 200 mètres. Mais elle a gagné au passage quatre secondes sur sa meilleure performance.

Pour apprendre les exigences du très haut niveau, Bayan s’est donc expatriée. Elle a débarqué en février 2011 en Seine-Maritime, à exactement 250 kilomètres à vol d’oiseau de Londres. Elle bénéficie du programme « Un tremplin pour les Jeux », mis en place par le CNOSF, l’organe suprême du sport olympique en France, en partenariat avec le département et le Comité international olympique (CIO). Pour la jeune fille, qui ne parlait pas un mot de français, l’atterrissage est difficile. Un autre nageur syrien, arrivé en même temps qu’elle, n’a pas résisté au déphasage et a fait ses valises deux mois plus tard.

A Rouen, Bayan passe entre les mains d’Eric Boissière, qui a formé plusieurs générations de nageurs français, à commencer par le multi-médaillé Fabien Gilot. L’entraînement, qu’elle suivait plus ou moins en dilettante jusque là, devient intensif : quatre heures par jour dans l’eau et des kilomètres de longueurs avalées dès le lever du soleil.

"Lui apprendre à travailler"

« Tout le problème, c’était qu’elle était habituée à être la première de son pays sans effort. Elle n’avait pas l’habitude de la concurrence et elle s’est rendu compte tout à coup que beaucoup de filles du même âge nageaient aussi vite qu’elle. Il a fallu lui apprendre à travailler. Elle n’était pas formée pour le très haut niveau », explique son entraîneur. Il lui est arrivé de sécher quelques séances et elle n’hésitait pas à sauter des repas –une hérésie dans le régime alimentaire au cordeau des nageurs de compétition. « On a dû un peu la secouer au début », raconte un membre de la structure qui l’accueille.

En un an, l’équipe qui l’accompagne l’a vu changer, apprendre le français. La jeune syrienne a fini par se fondre dans le décor normand. Avec son survêtement anonyme et son teint clair, elle passe d’ailleurs inaperçue au milieu d’un groupe d’adolescents. A ceci près qu’elle mesure 1m82. Mais loin d’Alep, l’adolescente en exil a toujours besoin d’un contact quotidien avec sa mère. Merci Internet.

Si elle valide son billet pour Londres, elle ne visera pas le podium. Son objectif ? « Rendre à mon pays ce qu’il m’a donné », dit-elle poliment. Ses qualités physiques lui offrent toutefois une belle marge de progression, en vue des Jeux olympiques de Rio de Janeiro, dans quatre ans. « Aujourd’hui, elle est à peu près au niveau de la dixième nageuse française dans sa catégorie d’âge. Mais elle peut arriver aux portes d’une demi-finale mondiale. Au-delà c’est difficile à dire, vu la densité de nageuses », anticipe Eric Boissière. Dans toute son histoire, la Syrie n’a remporté que trois médailles olympiques, dont une seule en or, il y a seize ans. Si Bayan veut un jour inscrire son nom au palmarès, une somme colossale de travail l’attend. Alors elle plonge. Et le monde entier disparaît.

Simon Carraud


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